février 2023

En 2022-2023, nous traversons une importante crise énergétique. Cette note met à jour les failles du système d’aide sociale que cette situation d'urgence révèle.

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En 2022-2023, nous traversons une crise énergétique sans précédent. Dans les années 90, l’Union européenne a décidé de libéraliser un bien aussi vital que l’énergie et donc de le soumettre aux lois du marché, à son instabilité et à ses logiques de profit. Nous en payons aujourd’hui le prix fort. 

Au sortir du cœur de la crise COVID, il est frappant de constater que nos analyses et recommandations restent pertinentes. Ce sont les mêmes populations qui ont souffert des conséquences du COVID et des mesures sanitaires mises en place, qui souffrent aujourd’hui le plus de la flambée des prix de l’énergie et qui souffrent et souffriront en premier de la crise climatique. À nouveau, la crise énergétique est venue révéler des failles du système d’aide sociale connues mais jamais prises à bras le corps. 

Accessibilité des guichets de services publics et non-recours

Dans les mesures gouvernementales prises pour faire face à la flambée des prix de l’énergie, le gouvernement a étendu et prolongé l’attribution du tarif social à l’ensemble des bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM)1. Le prolongement de cette mesure, originellement prise dans le contexte de la crise COVID, peut être applaudi à première vue mais pose plusieurs questions. Pourquoi continue-t-on à prolonger l’élargissement du tarif social par tranche de plusieurs mois alors que notre premier ministre prévoit cinq à dix hivers difficiles ? Ne serait-ce pas le moment de fixer définitivement cette extension, pour rassurer les ménages sur le fil ? Il faut également faire remarquer que les personnes ayant droit au statut BIM de par leurs revenus mais n'y ayant pas accès par manque d'information ou de par la complexité des démarches, ne bénéficient pas de cette extension du tarif social2. Un phénomène de non-recours qui s'est amplifié durant la crise du COVID, notamment par la fermeture des guichets physiques, le renforcement du tout-numérique et la surcharge de travail dans le secteur social. Selon une étude de l’Université d’Anvers3, ce non-recours au statut BIM serait d’environ 40% des bénéficiaires cibles.  Comment notre système socio-politique, et la gauche en particulier, ont-ils pu tolérer aussi longtemps cette situation ? 

De ces constats, deux recommandations émergent alors : 1) la nécessité de maintenir des guichets accessibles, 2) une simplification d’accès au statut BIM pour les personnes y ayant droit de par leurs revenus, ce qui permettrait également son automatisation. Cela permettrait d’une part, à toutes les personnes qui sont éligibles pour le tarif social de le recevoir, et d’autre part, de faciliter le travail des travailleur·ses sociaux·les qui doivent composer avec de plus en plus de personnes en détresse qui ne savent plus vers qui d’autre se tourner. À cet égard, il est important de faire remarquer qu’il n’y a plus  autant d’obstacles techniques à automatiser ce statut qu'auparavant. Cette proposition est d’ailleurs sur la table des discussions mais ne suscite pas que de l’enthousiasme. En effet, le fait qu’il n’ait jamais été question de budgétiser le montant des allocations qui prendraient en compte les 20% de non-recours montre toute l’hypocrisie du gouvernement. Ce dernier préfère prendre des mesures qui engagent individuellement les citoyen·nes face à des problèmes collectifs et structurels. 

Repenser la définition d’un « ménage »

Face à la crise énergétique et la crise climatique, de plus en plus de personnes vont être obligées ou vont choisir de vivre ensemble. Devant la flambée des prix de l’énergie, il est en effet plus économique de vivre sous un même toit, de se regrouper en famille, entre ami·es ou avec de nouveaux·elles colocataires. Cela permet de réduire sa facture d’énergie en ne chauffant qu’un logement plutôt que plusieurs.

Il y a néanmoins un obstacle d’envergure qui entrave cette solution relativement simple : le statut cohabitant. Ce dernier contraint de telles configurations et les rend moins attractives en réduisant les aides perçues par la·les cohabitant·es par rapport aux revenus d’une personne isolée ou cheffe de ménage. En effet, de nombreuses aides accordées à une personne sont calculées sur la base du ménage auquel elle appartient et non pas sur la base de sa situation individuelle. Ce statut est issu d’une vision patriarcale et dépassée de ce qu’est un ménage (des personnes, et le plus souvent un couple, qui cohabitent et partagent de facto leurs sources de revenus). Cette vision tronquée de ce que représente un ménage était déjà à l’œuvre lors de la crise COVID. Les mesures sanitaires étaient en effet prises sur la base d’un référent cognitif obsolète de la famille nucléaire (papa, maman, enfants). Alors qu’aujourd’hui d’autres formes de cohabitation se multiplient, comme le cas de personnes souhaitant opérer des économies d’échelle ou celui de individus formant un « ménage » ne correspondant nullement à une entité familiale.

Face à cette réalité, nous recommandons la fin du statut cohabitant. La structure d’un ménage ne doit plus influencer les aides qui peuvent être perçues par ses membres. Cela entraîne à la fois une dépendance financière plus importante des cohabitant·es et cela réduit le champ des solutions possibles pour les personnes en difficulté énergétique.

Les répercussions du mal-logement

Il est également difficile de parler d’énergie sans parler de logement. Aujourd’hui, les personnes les plus précarisées sont les premières à vivre dans des logements (très) mal isolés et payent donc le prix fort de l’augmentation des coûts de l’énergie. Cela, sans compter les conséquences indirectes du mal-logement sur la santé physique et mentale, déjà dénoncées mais jamais prises à bras le corps. Toute personne devrait pouvoir éclairer, chauffer et refroidir son logement de façon suffisante et à un coût abordable.

Dans le même sens, notons que de nombreux ménages ne bénéficient toujours pas des programmes de rénovation et des énergies renouvelables, et risquent fortement d’être obligés de continuer à utiliser des infrastructures reposant sur la consommation de combustibles fossiles ces prochaines années, une situation qui concerne tout particulièrement les personnes vivant dans des logements sociaux et les ménages pauvres. Il faudrait par ailleurs analyser les répercussions sociales des programmes de rénovation, de promotion des énergies renouvelables et d’efficacité énergétique pour veiller à ce qu’ils aboutissent au résultat voulu – la réduction de la précarité énergétique – plutôt qu’à une hausse des loyers ou à une éviction des locataires à faible revenu.

La crise énergétique est aussi sociale, climatique et démocratique

Il est indispensable de penser les crises qui nous arrivent de manière systémique. Comme nous venons de le montrer, certains problèmes auxquels nous faisons face maintenant sont les mêmes que lors des précédentes crises, et plus particulièrement lors du COVID. Nous ne pouvons plus penser ces crises individuellement. Les analyses et mesures que nous prenons doivent être pensées à l’aune des enjeux sociaux, climatiques et démocratiques. Force est de constater que du côté des autorités, nous sommes encore très loin de cela.

La crise énergétique est aussi sociale et démocratique. Tout comme pendant la crise sanitaire, ce sont à nouveau les services sociaux de première ligne qui doivent pallier la faiblesse des actions gouvernementales. Alors que de plus en plus de personnes doivent franchir les portes d’un service pour demander de l’aide et que la distribution des colis alimentaires est plus élevée que pendant le COVID, rien n’est mis en œuvre pour soutenir les secteurs sociaux. Les travailleur·ses sociaux tirent la sonnette d’alarme : l’accès aux droits sans l’intervention d’un tiers n'est aujourd’hui une réalité que pour une minorité d’individus. À la surcharge de travail du secteur social, s’ajoute l’accompagnement des personnes fragilisées par la crise énergétique, le déchiffrage des factures énergétiques, les heures d'attente pour parvenir à joindre les fournisseurs d’énergie, sans compter l’impact de la numérisation sur ces démarches. Ces travailleur·ses ne sont déjà plus en capacité de répondre à l’augmentation des accompagnements administratifs. Force est de constater que, sans un refinancement du secteur social, ce sont également leurs missions de base qui ne seront plus assurées, à savoir, nourrir les solidarités chaudes (la cohésion sociale, les solutions collectives apportées aux problèmes collectifs ou individuels, la participation citoyenne, la démocratie bas-seuil où chacun·e peut s’investir à l’échelle d’une rue ou d’un quartier et reconstruire son pouvoir d’agir).

Cette crise énergétique est et sera aussi climatique. Les mesures prises pour y faire face n’ont pas été préparées en amont et nous devons, à nouveau, agir dans l’urgence alors que cette dernière n’est pas bonne conseillère. Les mesures-pansements, aussi essentielles que coûteuses, sont autant de fonds publics qui ne seront pas investis dans la société. À titre d’exemple, dans le cas du tarif social, si une réduction du montant des factures d’énergie est envisageable pour les citoyen·nes les plus exposé·es et précarisé·es, c’est parce que la différence est financée publiquement et non parce que l’enrichissement des multinationales est régulé.  Étant donné que les prix ont explosé, les aides de l’État augmentent proportionnellement et sont autant de fonds publics qui vont venir nourrir les bénéfices de fournisseurs privés. Ils viennent in fine renforcer l’usage d’énergies fossiles au moment où le dérèglement climatique se veut de plus en plus menaçant, et nous enjoint à verduriser notre production d’énergie comme à décarboner nos modes de vie. Par ailleurs, étant donné que le chauffage représente la principale dépense énergétique des ménages et qu’il s’agit souvent de la dépense faisant basculer les ménages à faible revenu dans la précarité énergétique, il faudrait veiller à ce que ces derniers bénéficient pleinement et prioritairement des politiques de décarbonation, ne se retrouvent pas à payer le prix des émissions de carbone, et ne soient pas obligés de continuer d’utiliser les infrastructures fossiles alors que les ménages à plus haut revenu ont l’opportunité de transiter rapidement vers les énergies renouvelables. 

La crise énergétique nous le rappelle une fois de plus et ne fait que renforcer notre message : il n’est plus possible de continuer à traiter les urgences au jour le jour, pour faire face à des crises qui exacerbent des problèmes avant tout structurels.

Recommandations politiques

  • Sortir l’énergie des mains du marché ;  
  • Assurer le maintien des guichets physiques afin de garantir l’accès aux droits pour tous·tes ;
  • Isoler les logements sociaux en priorité ; 
  • Automatiser le statut BIM pour les personnes y ayant droit de par leurs revenus et pérenniser l’élargissement du tarif social pour ces personnes ;
  • Supprimer le statut de cohabitant ; 
  • Soulager le secteur social pour qu’il puisse reprendre en main sa mission de garant des solidarités chaudes. 

1 Le statut BIM est un mécanisme de protection sociale qui ouvre le droit à une intervention majorée dans les remboursements de soins de santé. Il donne également accès à certains droits dérivés tels que le tarif social énergie, le tarif télécom, le tarif social eau, un tarif réduit pour les transports en commun.

2  En effet, il existe deux catégories d’allocataires du statut BIM:

- Les personnes répondant aux critères suivants et pour lesquelles le statut BIM est accordé automatiquement: RIS (ou équivalent), GRAPA, APA, Allocation de remplacement de revenus pour les PSH, MENA, Orphelin, Enfant en situation de handicap. 

- Les ménages à faibles revenus ne dépassant pas certains plafonds pour lesquels le statut BIM n’est pas accordé automatiquement. Pour l’obtenir, ils doivent introduire proactivement une demande ou être proactivement identifiés par les mutualités ou les services sociaux qui ne disposent pas toujours des informations nécessaires. Toute une frange de la population y ayant droit n'y ont dans les faits pas accès.

3  Goedemé, T., Janssens, J., Bolland, M., et al. (2022), 'De omvang en kenmerken van de niet-opname van het leefloon, de verhoogde tegemoetkoming en de verwarmingstoelage onder 18 tot 64 jarigen in België', in J. Coene, T. Ghys, B. Hubeau, et al (eds.), Armoede en sociale uitsluiting. Jaarboek 2022 (pp. 139-159), Leuven: Acco.

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Pour InES : Céline Nieuwenhuys, Chloë Angé et Élise Debière avec la collaboration de Véronique Van der Plancke et Juan Carlos Benito Sanchez