RessourceIndexer autrement ?
Philippe Defeyt revient sur l'idée d'une indexation calibrée en fonction de la hauteur des salaires, idée devenue populaire. Ce ne serait toutefois pas la réforme la plus pertinente à envisager
La chronique (17 janvier 2023) est en libre accès sur le site de l'Echo. Nous vous en mettons le lien et la recopions ci-dessous.
L'idée d'une indexation calibrée en fonction de la hauteur des salaires est devenue populaire. Ce n'est toutefois pas la réforme la plus pertinente à envisager.
La forte inflation de 2023 a, forcément, relancé les réflexions sur les modes d'indexation des salaires et allocations.
C'est ainsi que l'idée du maintien d'une indexation, mais calibrée en fonction de la hauteur des salaires, se révèle assez populaire. Divers modèles sont avancés: X% jusqu'à un certain seuil (plus ou moins élevé), puis, après, soit plus rien, soit un forfait, ou encore un même forfait pour tout le monde.
Dans les circonstances actuelles, je ne suis pas favorable à une réforme de ce type. Pour quatre raisons:
- cette mesure profiterait principalement à des secteurs relativement plus prospères (pour le moment en tout cas): pharma, pétrochimie, énergie, etc.; pour les syndicats, ce serait contradictoire avec leur volonté de pouvoir négocier plus librement dans les secteurs/entreprises qui se portent mieux;
- cette mesure retirerait d'importantes recettes pour l'état et la sécu (or, on en a besoin plus que jamais);
- si on veut améliorer la redistribution verticale des revenus, l'outil fiscal est bien plus efficient: il tient compte des autres revenus, des charges familiales (par exemple, un salaire plus élevé qui serait moins bien indexé peut concerner un parent avec de lourdes charges familiales), etc.;
- au plus on monte dans l'échelle des salaires, au plus une part croissante des salaires est accordée sous forme de compléments extrasalariaux (dont les mécanismes d'indexation, quand il y en a, répondent à d'autres logiques encore). Je pense que l'on peut même avancer l'hypothèse que certains employeurs pourraient promouvoir une indexation différenciée moins pour des raisons de compétitivité que pour remplacer des revenus indexés par des dispositifs moins imposés et moins bien protégés de l'inflation.
D'autres priorités...
Si, malgré tout, on devait aller dans cette direction, regardons ce qu'il en est en fonction de la formule retenue.
1° soit on annule l'indexation au-delà d'un certain seuil et, dans ce cas, l'argument des pertes de recettes joue à plein;
2° soit on indexe de manière forfaitaire, c'est-à-dire le même montant en euros pour tout le monde, mais quel montant? Supposons un montant très bas, calé sur le salaire minimal (aujourd'hui d'environ 2.000 €/mois). Pour une indexation de 2%, cela ferait un forfait de 40 €. Dans ce cas, même des petits salaires, par exemple 2.500 €/mois, auront moins qu'aujourd'hui... Si l'on fait l'hypothèse d'un montant plus élevé, par exemple 2% de 3.000 €/mois (= un forfait de 60 €), on augmente alors le coût salarial dans des secteurs/entreprises en difficultés (petits commerces, HORECA, etc.).
S'il s'agit de limiter la progression des salaires, on pourrait aussi supprimer, voire interdire toute indexation des avantages extrasalariaux.
Bref, il me semble plus urgent se battre pour d'autres priorités. Voici les miennes:
1. L'indexation des barèmes fiscaux en cours d'année en cas d'inflation soutenue. La non-indexation des barèmes fiscaux pénalise en particulier les petits revenus (proportionnellement), salaires comme allocations sociales.
2. Limiter drastiquement ou prélever mieux les avantages extrasalariaux (voitures, options, participation bénéficiaire, assurance hospitalisation, etc.) qui paient peu ou moins d'IPP/cotisations sociales et qui — globalement — augmentent avec le salaire (plus on a un salaire élevé, plus on a des avantages complémentaires moins taxés). Cette inégalité est très forte, plus forte que celle des salaires proprement dits. À ce propos, limiter l'indexation aurait pour effet que les travailleurs avec un petit salaire, mais avec une série d'avantages extrasalariaux, auraient une indexation plus importante que des travailleurs qui ont un salaire plus important, mais pas d'avantages extrasalariaux. S'il s'agit de limiter la progression des salaires, on pourrait aussi supprimer, voire interdire toute indexation de ces avantages extrasalariaux.
3. À court terme, tant qu'à intervenir d'autorité sur les salaires, pourquoi ne pas limiter/empêcher les primes de fin d'année (je ne parle pas du 13ᵉ mois), fixes ou variables en fonction des résultats? Si problème de compétitivité il y a, c'est a priori dans des secteurs "généreux" avec ce type de primes.
4. Harmoniser les mécanismes d'indexation des salaires.
5. En attendant une réforme plus ambitieuse, appliquer une indexation différenciée aux pensions plus élevées. On aurait ici un véritable effet redistributif avec des retombées positives nettes pour les finances publiques.