septembre 2023

Le plan mobilité de la Région Wallonne, qui se traduit par un remanienement du réseau TEC en du "tout numérique", risque bien de détourner la population des transports publics.

Publication initiale : le Soir

Le 1er août, le TEC a mis en service dans la zone Gembloux – Basse Sambre un réseau entièrement remanié. Il s’agit de la première phase de mise en application du plan mobilité de la Région wallonne. Quatre communes servent ainsi de « zone test » pour un dispositif qui sera ensuite appliqué progressivement à l’ensemble de la Région wallonne. Si la volonté de départ est honorable (une offre plus lisible et mieux adaptée aux besoins des habitants, attirer de nouveaux usagers, améliorer l’intermodalité, réduire les émissions de CO2…), le résultat est loin de répondre aux besoins. Pire, ce plan risque de détourner la population des transports publics.

Le nouveau réseau joue sur quatre axes hiérarchisés : renforcement et création de nouvelles lignes express reliant les centres urbains, et réorganisation des dessertes locales en lignes principales, secondaires, et scolaires. Avec, en prime, la mise en service du TEC à la demande. En réalité, il s’agit bien davantage de « rationaliser » l’offre que de l’étoffer en visant à rencontrer les besoins locaux. Le TEC applique la même recette que la SNCB : réduire, voire supprimer les dessertes locales pour renforcer les grandes lignes (ici, les lignes express). Certains villages ne sont plus desservis que par deux navettes scolaires par jour seulement et dont les horaires sont inadaptés à ceux des trains empruntés par les jeunes scolarisés à Namur. L’amplitude horaire des lignes a été réduite, avec un service actif uniquement de 6h30 à 19h30. De nombreux arrêts ont été supprimés, forçant les personnes âgées à parcourir de longues distances à pied. Dans la zone, des voix s’élèvent pour dénoncer un nouveau réseau qui complique, voire entrave, les déplacements en transports en commun.

Le TEC à la demande est censé compenser la suppression de lignes régulières dans une partie de la zone concernée. Un service qui, d’après le TEC, cumulerait tous les avantages : flexibilité, simplicité, rapidité, proximité, écologie et accessibilité. Le principe : des vans de huit places à réserver via une application. Finis donc les bus à heures fixes s’arrêtant à tous les arrêts. Seuls les clients qui auront réservé seront pris en charge, dans une fourchette horaire de 30 minutes après le créneau de ramassage coché, dans des tranches horaires prédéfinies. C’en est donc fini de la prévisibilité des trajets : aucune garantie par exemple que les usagers arriveront à temps pour prendre un train vers leur lieu de travail ; aucune garantie non plus qu’il y aura bien une navette chaque jour, car les deux vans en service pour l’ensemble de la zone fonctionnent sur le principe du « premier réservé, premier servi ». La flexibilité annoncée n’est donc pas au rendez-vous (les créneaux horaires sont prédéfinis dans l’appli et il faut impérativement réserver à l’avance), et l’accessibilité du service numérique est loin d’être acquise…

La vulnérabilisation des publics par le numérique

Ce nouveau réseau a un coût pour les usagers. L’augmentation tarifaire dépasse parfois les 100 %. Alors qu’un trajet en ligne régulière coûte 1,15 € (et 0,85 € en tarif réduit) avec un ticket huit voyages, pour les personnes sans abonnement, chaque trajet en TEC à la demande coûte 2,10 €, quels que soient le nombre de trajets achetés ou le statut de la personne (par exemple, BIM ou famille nombreuse). Raison invoquée par le TEC à l’heure des promesses du tout numérique : de simples questions techniques. Le logiciel ne permet pas de programmer plusieurs tarifs et n’est pas lié aux données de la carte Mobib. Les habitants dont la ligne régulière a été remplacée par une ligne express paient aussi le prix fort : finis l’abonnement Next annuel à 132 € pour les 12-17 ans et à 323 € pour les 25-64 ans : bonjour l’abonnement Express à respectivement 281 et 585 € ! D’autres encore doivent désormais combiner un bus et un train, ce qui mène là aussi à une augmentation tarifaire substantielle.

Si l’augmentation tarifaire fragilise les publics peinant déjà à joindre les deux bouts, cette réforme accentue la numérisation des services. Certes, lorsque le système ne « bugge » pas et que l’on dispose d’un matériel informatique collaborant, on peut espérer gagner du temps sur www.letec.be. Mais en réalité, il faut télécharger une application, créer un compte avec son e-id, charger de l’argent via une application bancaire et espérer enfin réserver un bus en ligne, ce qui complexifie l’usage des transports en commun pour nombre d’entre nous. Certes, il est possible de réserver par téléphone, mais le service ferme à 15h30 trois jours par semaine et est inaccessible le weekend.

Ce passage au tout numérique et à la diminution d’un service humain défavorise les personnes qui n’ont pas accès aux outils numériques ou qui éprouvent des difficultés à les utiliser. Cela pose question au regard du droit constitutionnel à l’égalité et la non-discrimination car cette numérisation, bien que neutre en apparence, impose une différence de traitement non justifiée à près d’un wallon sur deux (49 %) âgés de 16 à 79 ans selon le dernier baromètre de l’inclusion numérique de la Fondation roi Baudouin. A cela s’ajoute aussi que le droit constitutionnel d’aller et venir est également ébranlé, d’autant que ces personnes n’ont bien souvent pas d’autre moyen de transport.

Un plan à revoir d’urgence pour l’ensemble de la Wallonie

Face à la pression citoyenne, le TEC rappelle que ce nouveau réseau est en test. Il fera l’objet d’ajustements futurs sur la base des données récoltées via l’appli TEC à la demande. De quelles données s’agit-il ? Pour quoi faire ? Seront-elles suffisamment pertinentes au regard des objectifs poursuivis, comme l’exige le RGPD ? A ce stade, c’est flou. On comprend en tout cas qu’en se basant sur les données de l’appli, le service sera revu en fonction des seuls usagers connectés, et non des usagers hors ligne, dont la plupart ont pourtant grandement besoin du TEC.

Il est évident que ce qui se passe « à la campagne » est la première étape d’un plan qui, zone après zone, va s’étendre à l’ensemble du territoire wallon. Au vu des difficultés identifiées, il nous paraît impératif de mettre ce plan sur pause, le temps d’ajuster l’offre et le fonctionnement du système dans la zone test sur la base de données moins biaisées, et ce, dans un délai raisonnable. Et de tirer les leçons de cette première expérience avant de déployer le dispositif dans d’autres localités. Car ce qui est en jeu ici, c’est la capacité de la Région wallonne à rencontrer les besoins réels de l’ensemble de sa population pour relever le défi de la transition, de manière efficace et égalitaire.

Laura Merla ; Christine Mahy ; et al.